Diversité génétique et linguistique en Asie Centrale
Nous travaillons depuis 2001 sur l’Asie Centrale dans un programme sur la diversité génétique et linguistique de la région. Nous avons échantillonné 28 populations dans les différents groupes ethniques de cette région. Outre l’ADN, nous avons collecté des données ethnologiques, linguistiques et anthropométriques.
Histoire du peuplement
Nos données mitochondriales combinées avec celles de la littérature montrent un peuplement de l’Eurasie au paléolithique d’Est en Ouest. Chaix et al, AJPA 2007
Les données autosomales situent tel qu’attendu l’Asie Centrale entre l’Est et l’Ouest de l’Eurasie. Martinez-Cruz (en cours) De plus ces données mettent en évidence deux groupes de populations dans la région qui correspondent aux populations de langue Turko-Mongol de tradition nomade d’une part et d’autre part au groupe des populations de langue Indo-Iraniennes de tradition agriculteurs
Organisation sociale
Un des résultats majeurs de nos recherches est d’avoir montré que l’organisation sociale a impact sur la diversité génétique. Toutes les populations en Asie Centrale sont patrilocales : après le mariage les femmes s’installent dans le village de leur époux. Ainsi, les études sur le chromosome Y révèlent des populations d’hommes très différentes génétiquement, car les hommes se déplacent très peu d’une population à une autre, alors que celles de l’ADN mitochondrial montrent peu de différences génétiques dans les populations de femmes car leurs déplacements sont nombreux. Mais nous avons pu montrer que d’autres aspects de l’organisation sociale jouent un rôle important dans la structuration génétique des populations.
Chez les turco-mongols, les individus appartiennent à un lignage. Les lignages sont regroupés en clans et les clans en tribus, en suivant une filiation patrilinéaire : dans certains villages, sont affichées à la mairie les généalogies patrilinéaires détaillées de tous les individus de la population. Les ancêtres communs paternels qui structurent à chaque niveau cette organisation emboîtée ne sont une construction sociale qu’au niveau le plus élevé, celui de la tribu. Au niveau du clan et du lignage, ont a démontré qu’ils existaient aussi d’un point de vue biologique. (Chaix et al. 2004). En comparant les Turco-Mongol qui ont cette organisation lignagère avec leurs voisins agriculteurs qui ne suivent pas cette organisation sociale nous avons pu montrer son impact sur la répartition de la diversité génétique. Tout d’abord avec les marqueurs uniparentaux du chromosome Y et de l’ADN mitochondrial (Chaix et al. 2007), puis avec les marqueurs autosomaux et du chromosome X. Les hommes non seulement bougent moins que les femmes, mais en plus, l’organisation sociale lignagère entraîne un regroupement des hommes les plus apparentés entre eux. Ainsi Cette organisation sociale influence fortement les variations génétiques : on trouve chez les Turco-Mongol une beaucoup plus forte différenciation entre populations pour le chromosome Y, l’effectif génétique reproducteur est réduit alors que pour les femmes, l’effectif reproducteur est significativement plus grand et les différences entre populations plus faibles. (Segurel et al. 2008) Segurel.
Diversité génétique et linguistique
En règle générale, en génétique humaine, plus les populations sont éloignées géographiquement, plus elles sont différentes génétiquement. Or l’Asie Centrale s’éloigne de ce schéma habituel : dans cette partie du monde, certaines populations éloignées géographiquement sont proches génétiquement alors qu’à l’inverse certaines populations proches géographiquement sont éloignées génétiquement. Nos travaux sur les données génétiques ont montré que les deux groupes de populations que l’on observe en Asie Centrale sont structurés essentiellement par les groupes linguistiques. Le premier inclut majoritairement les populations qui parlent des langues indo-iraniennes et le second, les langues turco- mongoles. Les populations turco-mongoles ont envahi l’Asie Centrale dès le 4e siècle et au 10e siècle, certaines d’entre elles y étaient déjà fixées, d’autres invasions ont eu lieu ensuite. Les données génétiques nous renseignent sur ce qui s’est passé lors de ces invasions. Seuls deux cas de remplacement linguistique sont observés. Excepté ces deux populations de bagage génétique indo-iranien qui ont changé de langue suite aux invasions turco-mongoles, on voit que le groupe indo-iranien, dans son ensemble, est resté indépendant génétiquement du groupe turco-mongol, ce qui signifie que d’un point de vue démographique, les invasions turco-mongoles ont eu peu d’impact sur les populations autochtones indo-iraniennes.
Adaptation à l’alimentation
Outre les langues et l’organisation sociale, les deux groupes de populations humaines différent par leur mode de vie traditionnel. Les Turko-Mongol étaient essentiellement des pasteurs-nomades alors que les Indo-Iraniens ont une tradition d’agriculteurs sédentaires. Nous poursuivons actuellement un projet qui vise à mesurer les différences génétiques résultant des adaptations aux régimes alimentaires différents liés à ces mode de vie. ANR Nutgenevol